Selon le philosophe Giorgio Agamben, un dispositif c’est « tout ce qui a, d’une manière ou d’une autre, la capacité de capturer, d’orienter, de déterminer, d’intercepter, de modeler, de contrôler et d’assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants » ¹

Certes, mais quel est le rapport avec le jeu de rôle ?

En parallèle de mon activité de rôliste « classique », avec papier, dés et crayons, je pratique également à mes heures perdues le jeu de rôle grandeur nature. Je me suis intéressé aux jeux « nordiques » qui cherchent parfois à faire vivre des expériences assez fortes aux joueurs. Ils abordent des sujets sensibles, prônent la création en collaboration et en coopération.²

En lisant les documents qui permettent de les organiser, j’ai eu le sentiment qu’ils proposaient surtout un dispositif à mettre en place pour provoquer une expérience de jeu bien particulière. Je pense que cette notion de dispositif peut être étendue au jeu de rôle sur table.

D’accord, mais à quoi ça sert ?

Le dispositif va favoriser ou décourager certains gestes rôlistes.

L’idée est de réfléchir aux éléments qui constituent une séance de jeu afin de les organiser au mieux pour que chacun vive une bonne (meilleure ?) expérience de jeu. Il s’agit aussi de pouvoir analyser a posteriori des dysfonctionnements dans une partie.

Dans un premier temps, je vais tenter de cerner les éléments constitutifs d’une séance de jeu, puis je verrai comment on peut agir dessus.

DISSECTION D’UNE PARTIE

Je me place au niveau d’une séance de jeu de rôle. Mon but n’est pas d’analyser le jeu de rôle en général, ou les systèmes de jeu, ou l’organisation d’une campagne au long cours. Je veux ici comprendre les dynamiques qui sont en jeu durant une séance de jeu.

Une séance de jeu est un système qui voit interagir plusieurs éléments :

  • Les Joueuses (dont éventuellement la Meneuse) : ce sont les participantes de la session.
  • La Fiction : c’est ce qui est raconté autour de la « table » et qui concerne la réalité diégétique.
  • Le Jeu : c’est l’ensemble constitué par les Règles, l’Univers et le Scénario. (à noter qu’un jeu de rôle ne comporte pas forcément ces trois éléments).
  • L’Environnement : c’est l’endroit où se déroule la session, qu’il soit physique ou virtuel. « L’endroit » est vraiment à prendre au sens large : c’est aussi le moment dans la journée où se déroule la partie.

Durant la partie, ces éléments vont donc communiquer les uns avec les autres et s’influencer.

On peut imaginer un schéma où ils figurent, tous reliés par des flèches à double sens.

Je dois donc m’intéresser à chaque élément mais aussi à leurs interactions.

Passons en revue quelques une de ces relations pour les clarifier, avec des exemples de questions :

  • Joueuse-Joueuse : Comment s’entendent-elles ? Ont-elles l’habitude de jouer ensemble ?
  • Joueuse-Fiction : Quels sont les éléments contrôlés par la Joueuse dans la Fiction ? Quelle est sa marge de manœuvre sur la Fiction, son « agentivité » ?
    Joueuse-Jeu : Dans quelle mesure la Joueuse est-elle à l’aise avec les Règles du Jeu ? Est-elle familière de son Univers ? La Joueuse adhère-t-elle à l’incitation du Scénario ?
  • Joueuse-Environnement : La partie se déroule-t-elle à distance ou en présence physique des Joueuses ? La Joueuse est-elle dans un environnement sécurisant ou déstabilisant (utilisation de l’éclairage, de la musique…) ?
  • Fiction-Jeu : Dans quelle mesure le Jeu amène-t-il des « briques fictionnelles » (des PNJ, des lieux, des noms…) ? Comment les Règles du jeu vont-elles influencer la tonalité de la partie (léthalité des règles…) ? Quelles particularités de l’Univers vont influencer la Fiction ?.
  • Fiction-Environnement : La musique influence-t-elle le contenu narratif (cf le jeu Ribbon Drive) ? Y a-t-il un temps limité ou chronométré ? Quel est l’Environnement le plus adéquat pour la Fiction vécue ?
  • Jeu – Environnement : le Jeu impose-t-il des contraintes sur l’Environnement (nécessité d’un espace pour jeter des dés, pour poser une feuille de personnage, besoin d’un écran pour masquer des secrets…) ?


Ces questions ne sont que des exemples, il y a sans doute d’autres points à explorer sur ces pôles et leurs interactions.

On remarquera que j’ai délibérément évité d’intégrer certains termes habituels :

  • La meneuse de jeu est souvent une joueuse avec un rapport différent des autres au Jeu et à la Fiction.
  • Un personnage est l’un des liens entre Joueuse et Fiction.
  • Le modèle s’applique au jeu sur table et au jeu Grandeur Nature.

Dans la deuxième partie, j’essaierai de voir comment construire un Dispositif à partir des éléments que je viens de définir pour permettre à chacune des Joueuses de vivre une « bonne partie ».


1: Giorgio Agamben, Qu'est-ce qu'un dispositif, Rivages poches, 2014
2: https://nordiclarp.org/wiki/Nordic_larp
3: Par exemple : http://larpfactorybookproject.blogspot.com/2013/10/sarcophagus.html
4 : http://www.cendrones.fr/cendrones/articles/le-geste-roliste/

5: https://buriedwithoutceremony.com/ribbon-drive